Trafigura, affréteur au rabais
La société, basée aux Pays-Bas, a choisi Abidjan pour faire des «économies».
Par Sabine CESSOU
http://www.liberation.fr/actualite/monde/204345.FR.php
QUOTIDIEN : Jeudi 14 septembre 2006 - 06:00
Amsterdam de notre correspondante
Les responsables de Trafigura tentent, depuis lundi, d'opposer une défense à ce qu'ils appellent des «rumeurs». Parce qu'elle a affrété le Probo Koala, cette société de négoce international basée à Amsterdam se retrouve au coeur de toutes les accusations. «Greenpeace nous reproche d'avoir laissé naviguer pendant des semaines un bateau fantôme chargé de poison», s'indigne Jan Maat, porte-parole de cette multinationale néerlandaise, spécialisée dans le négoce de pétrole et de métaux de base. Trafigura, 630 employés et 20 milliards d'euros de chiffre d'affaires annuel, affirme avoir pris une décision d'abord et avant tout «économique», en livrant 581 tonnes de déchets toxiques à Abidjan.
Soucieux de raconter la «vraie histoire» de cette cargaison, Jan Maat rappelle que tout a commencé le 2 juillet à Amsterdam. Le Probo Koala, un tanker battant pavillon panaméen et détenu par des armateurs grecs, a été loué par Trafigura pour transporter de l'essence. «A chaque livraison, les cales du tanker sont nettoyées, conformément aux réglementations internationales, raconte Jan Maat. Les eaux sales du nettoyage, qui contiennent de la soude caustique et des restes de pétrole, sont pompées dans une cuve spéciale à bord du navire, avant d'être transférées à quai à des sociétés spécialisées dans le traitement des déchets.»
«Terrible odeur.» Des analyses ayant révélé que les eaux sales du Probo Koala étaient très polluées, Amsterdam Port Services (APS), la société qui devait traiter celles-ci, a voulu renégocier son contrat à la hausse. «La forte teneur des déchets en soude caustique a d'ailleurs été remarquée par les employés du port d'Amsterdam eux-mêmes, gênés par une terrible odeur, reconnaît le porte-parole de Trafigura. Nous avons d'abord décidé d'en traiter la moitié à Amsterdam et la moitié à Rotterdam, mais les délais nous auraient fait perdre beaucoup d'argent, 35 000 dollars par jour de retard au port d'Amsterdam et 250 000 dollars de pénalités au port suivant. Nous avons alors repompé les déchets à bord du navire et cherché un autre port.»
Conformément à son itinéraire prévu, le Probo Koala s'est donc rendu le 9 juillet à Paldiski, en Estonie, pour charger une cargaison d'essence à destination de Lagos, au Nigeria. Le 19 août, de retour du Nigeria, le tanker fait escale, à Abidjan pour se débarrasser de ses eaux usées auprès du groupe Tommy, une société ivoirienne. «Tommy est une société certifiée», rappelle Jan Maat, qui insiste aussi sur le fait que Trafigura a bien informé par écrit les autorités de Côte-d'Ivoire de la nature toxique de ses eaux sales, «à manier avec précaution». Sur tout ce qui s'est passé après la vidange de ses déchets à Abidjan, le groupe néerlandais décline toute responsabilité et affirme qu' «il n'y a pas de lien entre Tommy et Puma Energy, [notre] filiale en Côte-d'Ivoire».
Au siège de Greenpeace à Amsterdam, on continue de dénoncer le «dumping» dans un pays pauvre de déchets toxiques trop chers à traiter en Europe. «Trafigura aurait dû savoir que les déchets n'allaient pas être traités de manière appropriée en Côte-d'Ivoire, dénonce Eco Matser, chargé de campagne à Greenpeace. Ce n'est pas très difficile de se rendre compte qu'il n'y a pas les mêmes normes à Amsterdam et Abidjan.» Une perception que conteste Trafigura. «Abidjan est considéré comme l'un des ports les plus importants et les mieux équipés d'Afrique de l'Ouest», rappelle la multinationale.
Le scandale menace de prendre un tour politique aux Pays-Bas. Diederik Samsom, un député travailliste du Parti pour le travail et le progrès (PVDA, opposition), demande en effet des comptes à Ben Bot, le ministre des Affaires étrangères, ainsi qu'à Pieter Van Geel, le secrétaire d'Etat à l'Environnement. «Nous aimerions savoir si les autorités ont tout fait pour empêcher ce cargo de quitter Amsterdam sans avoir traité ses déchets, déclare Diederik Samsom. En principe, nos lois sur la pollution des navires ne prévoient pas l'option la moins chère pour les armateurs, mais la plus responsable.»
Justice. Le parquet néerlandais, de son côté, a ouvert une enquête sur les conditions dans lesquelles les déchets ont pu être rechargés à bord du Probo Koala, en contravention avec les lois néerlandaises et les conventions européennes. Trafigura, qui n'en est pas à ses premiers déboires avec la justice, tente de limiter les dégâts de cette nouvelle affaire sur son image. Une autre enquête est en cours, aux Pays-Bas, sur les opérations du groupe de négoce dans le cadre du scandale provoqué par le programme des Nations unies «Pétrole contre nourriture» en Irak. Des cargaisons illégales de pétrole irakien, acheminées par plusieurs intermédiaires, parmi lesquels Trafigura, ont en effet servi à financer l'armement du régime de Saddam Hussein.
La société, basée aux Pays-Bas, a choisi Abidjan pour faire des «économies».
Par Sabine CESSOU
http://www.liberation.fr/actualite/monde/204345.FR.php
QUOTIDIEN : Jeudi 14 septembre 2006 - 06:00
Amsterdam de notre correspondante
Les responsables de Trafigura tentent, depuis lundi, d'opposer une défense à ce qu'ils appellent des «rumeurs». Parce qu'elle a affrété le Probo Koala, cette société de négoce international basée à Amsterdam se retrouve au coeur de toutes les accusations. «Greenpeace nous reproche d'avoir laissé naviguer pendant des semaines un bateau fantôme chargé de poison», s'indigne Jan Maat, porte-parole de cette multinationale néerlandaise, spécialisée dans le négoce de pétrole et de métaux de base. Trafigura, 630 employés et 20 milliards d'euros de chiffre d'affaires annuel, affirme avoir pris une décision d'abord et avant tout «économique», en livrant 581 tonnes de déchets toxiques à Abidjan.
Soucieux de raconter la «vraie histoire» de cette cargaison, Jan Maat rappelle que tout a commencé le 2 juillet à Amsterdam. Le Probo Koala, un tanker battant pavillon panaméen et détenu par des armateurs grecs, a été loué par Trafigura pour transporter de l'essence. «A chaque livraison, les cales du tanker sont nettoyées, conformément aux réglementations internationales, raconte Jan Maat. Les eaux sales du nettoyage, qui contiennent de la soude caustique et des restes de pétrole, sont pompées dans une cuve spéciale à bord du navire, avant d'être transférées à quai à des sociétés spécialisées dans le traitement des déchets.»
«Terrible odeur.» Des analyses ayant révélé que les eaux sales du Probo Koala étaient très polluées, Amsterdam Port Services (APS), la société qui devait traiter celles-ci, a voulu renégocier son contrat à la hausse. «La forte teneur des déchets en soude caustique a d'ailleurs été remarquée par les employés du port d'Amsterdam eux-mêmes, gênés par une terrible odeur, reconnaît le porte-parole de Trafigura. Nous avons d'abord décidé d'en traiter la moitié à Amsterdam et la moitié à Rotterdam, mais les délais nous auraient fait perdre beaucoup d'argent, 35 000 dollars par jour de retard au port d'Amsterdam et 250 000 dollars de pénalités au port suivant. Nous avons alors repompé les déchets à bord du navire et cherché un autre port.»
Conformément à son itinéraire prévu, le Probo Koala s'est donc rendu le 9 juillet à Paldiski, en Estonie, pour charger une cargaison d'essence à destination de Lagos, au Nigeria. Le 19 août, de retour du Nigeria, le tanker fait escale, à Abidjan pour se débarrasser de ses eaux usées auprès du groupe Tommy, une société ivoirienne. «Tommy est une société certifiée», rappelle Jan Maat, qui insiste aussi sur le fait que Trafigura a bien informé par écrit les autorités de Côte-d'Ivoire de la nature toxique de ses eaux sales, «à manier avec précaution». Sur tout ce qui s'est passé après la vidange de ses déchets à Abidjan, le groupe néerlandais décline toute responsabilité et affirme qu' «il n'y a pas de lien entre Tommy et Puma Energy, [notre] filiale en Côte-d'Ivoire».
Au siège de Greenpeace à Amsterdam, on continue de dénoncer le «dumping» dans un pays pauvre de déchets toxiques trop chers à traiter en Europe. «Trafigura aurait dû savoir que les déchets n'allaient pas être traités de manière appropriée en Côte-d'Ivoire, dénonce Eco Matser, chargé de campagne à Greenpeace. Ce n'est pas très difficile de se rendre compte qu'il n'y a pas les mêmes normes à Amsterdam et Abidjan.» Une perception que conteste Trafigura. «Abidjan est considéré comme l'un des ports les plus importants et les mieux équipés d'Afrique de l'Ouest», rappelle la multinationale.
Le scandale menace de prendre un tour politique aux Pays-Bas. Diederik Samsom, un député travailliste du Parti pour le travail et le progrès (PVDA, opposition), demande en effet des comptes à Ben Bot, le ministre des Affaires étrangères, ainsi qu'à Pieter Van Geel, le secrétaire d'Etat à l'Environnement. «Nous aimerions savoir si les autorités ont tout fait pour empêcher ce cargo de quitter Amsterdam sans avoir traité ses déchets, déclare Diederik Samsom. En principe, nos lois sur la pollution des navires ne prévoient pas l'option la moins chère pour les armateurs, mais la plus responsable.»
Justice. Le parquet néerlandais, de son côté, a ouvert une enquête sur les conditions dans lesquelles les déchets ont pu être rechargés à bord du Probo Koala, en contravention avec les lois néerlandaises et les conventions européennes. Trafigura, qui n'en est pas à ses premiers déboires avec la justice, tente de limiter les dégâts de cette nouvelle affaire sur son image. Une autre enquête est en cours, aux Pays-Bas, sur les opérations du groupe de négoce dans le cadre du scandale provoqué par le programme des Nations unies «Pétrole contre nourriture» en Irak. Des cargaisons illégales de pétrole irakien, acheminées par plusieurs intermédiaires, parmi lesquels Trafigura, ont en effet servi à financer l'armement du régime de Saddam Hussein.
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