Wednesday, September 13, 2006

Des laveurs d’autos témoignent :“Oui ! Nous avons lavé deux camions-citernes de déchets toxiques à 10.000 F”


Le Patriote No. 2088 du Jeudi 14 Septembre 2006
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Les langues commencent à se délier et le scandale des déchets toxiques livre ses secrets. «Le Patriote» est entré en contact avec un groupe de jeunes spécialisés dans le lavage de voitures rendant à Abobo. Ils témoignent, dans l’interview qui suit, avoir lavé deux des camions citernes qui ont servi à transporter les déchets toxiques sur les sites de déversement.

Le Patriote : Monsieur Dobi Didi Marcel, dites-nous dans quelles circonstances vous avez lavé des camions-citernes contenant des déchets toxiques?

Dobi Didi Marcel : Je suis le chef d’équipe de ceux qui travaillent ici. Effectivement, j’ai lavé deux camions-citernes ici, le jeudi 24 août. Les camions sont arrivés dans notre “lavage” vers 18 heures. Et c’est de 20 H à 23 H que nous avons lavé les camions.

L.P. : Comment étaient les camions ?

D.D.M. : C’étaient des citernes de 12 roues d’une capacité de 30.000 litres chacune.

L.P. : Pouvez-vous nous décrire comment vous les avez lavés ?

D.D.M. : Mes deux petits apprentis ont lavé un camion. Mon ami et moi étions occupés à autre chose. Donc, on a laissé le second camion stationné sur place, le temps de finir. Ce sont les apprentis et le chauffeur en second qui ont supervisé l’opération de lavage avec nous. Le premier camion avait les couleurs bleue et blanche. Le second était gris avec des rayures rouges. Concernant le camion bleu et blanc, c’est le chauffeur en second lui-même qui a lavé la voiture.

L.P. : Quel genre de produit, ces camions citernes ont-ils l’habitude de transporter ?

D.D.M. : Ce sont des camions qui ont l’habitude de transporter du carburant. Mais, à mon avis, ces deux camions ont servi à transporter des déchets toxiques avant qu’ils n’arrivent dans notre lavage.

L.P. : Les chauffeurs vous ont-ils révélé d’autres choses?

D.D.M. : Je me souviens que l’un d’eux a dit que le CECOS a réussi à prendre les occupants de l’un des camions. Et qu’ils ont passé toute la nuit avec les agents. Il a donné aussi l’exemple d’un autre chauffeur qui a été chassé par son patron après qu’il ait transporté le même produit. Et que de peur de subir le même sort que ce collègue, il préfère lui-même laver son camion. Il a ôté ses habits. Il est descendu à l’intérieur de la citerne et il l’a lavé. Après, ils nous ont donné notre argent et ils sont partis comme ils sont venus.

L.P. : A combien avez-vous fait ce travail ?

D.D.M. : On a l’habitude de laver ce genre de camion citerne à 5000 F. Donc, le lavage des deux camions a coûté 10.000 F.L.P. : Vous avez accepté de laver des camions de déchets toxiques à ce prix au risque de votre vie ?

D.D.M. : C’est vrai. Mais, on ne savait pas que ces camions avaient servi à transporter des produits toxiques pouvant causer la mort. Si on l’avait su, on ne les aurait pas lavés. Ou bien si on acceptait de les laver, on aurait pris toutes les précautions et ce n’est pas à ce prix-là qu’on aurait fait le travail. Je vous ai dit que c’est un tarif qu’on applique d’habitude aux citernes.

L.P. : Mais, qu’est-ce qui vous fait dire aujourd’hui que ces deux camions avaient effectivement servi au transport de déchets toxiques ?

D.D.M. : C’est bien après. Quand les gens ont commencé à dénoncer les déchets toxiques et à décrire l’odeur de ce produit mortel, nous avons fait le rapport avec les deux camions que nous avons lavés sans savoir. C’est à partir de ce moment qu’on a compris l’attitude curieuse du chauffeur adjoint qui s’est entêté pour laver lui-même son camion.

L.P. : Connaissiez-vous les chauffeurs en question ?

D.D.M. : Non. On ne les avait jamais vus auparavant.

L.P. : Mais pourquoi avez-vous attendu jusqu’à 20 heures pour laver les camions qui sont arrivés à 18 heures dans votre lavage ?

D.D.M. : Quand ils sont venus, ils nous ont demandé de bien laver la voiture comme d’habitude. On lui a dit que c’est une heure de pointe pour nous. Parce que c’est à 18 heures que les wôrô-wôrô commencent à venir. Généralement à cette heure-là, on est très occupé. On leur a donc proposé d’attendre que nous finissions de laver les petites voitures avant de nous occuper des camions. Ils ont accepté et ils sont partis. Mais, un des chauffeurs nous a dit que son second viendra chercher le camion bleu- blanc après. Le chauffeur de l’autre est venu à bord d’une voiture personnelle. Il a garé le temps que nous finissions de laver vers 22 heures, 23 heures.

L.P. : Mais pourquoi les riverains se plaignent-ils pour dire que des déchets toxiques ont été déversés dans les égouts situés à côté de votre lavage ?

D.D.M. : Bien avant l’arrivée des 2 camions dans notre lavage, l’odeur des déchets toxiques avait déjà envahi tout le quartier. Et quand les riverains ont senti les mêmes odeurs sur les camions que nous avons lavés, ils ont vite fait de conclure que des déchets toxiques avaient été versés dans les égouts. Il n’en est rien. Aucun déchet toxique n’a été déversé ici. Ce que nous savons, c’est que l’eau de ruissellement, suite au lavage des deux camions, s’est propagée dans les égouts et a entraîné une odeur encore plus forte. (Il donne la parole à son collègue…).

Yoman Bi Irié Yannick : Je confirme tout ce que mon chef vient de dire. C’est la vérité qu’il vous a dite.

L.P. : Mais, personnellement comment as-tu vécu toute cette expérience ?

Y.B.I.Y. : Quand les camions sont arrivés, il n’ y avait personne au lavage. Sauf mon petit et moi (il désigne un gamin de 15 ans). Nous ne savions pas que c’étaient des camions de déchets toxiques. L’un des chauffeurs nous a remis un bidon d’essence. Et ils nous ont demandé de frotter le camion avec nos chiffons imbibés d’essence. Moi, personnellement, j’ai lavé le bas du camion gris. Il n’ y avait rien de suspect en bas du camion. Mais je sentais une odeur fétide provenant de la citerne. Mais, j’étais loin de savoir que c’était des odeurs de déchets toxiques. Dès que j’ai fini de laver le camion, je suis rentré à la maison. Je me souviens que cette nuit-là je ne me suis pas lavé. Parce qu’on avait fini très tard. Je me suis réveillé le matin à 6 heures et je suis allé faire du sport. Quand je suis revenu le soir au lavage, on m’a informé que c’est un camion de déchets toxiques que j’avais lavé la veille.
L.P. : Quelle a été ta réaction ?

Y.B.I.Y : J’étais très surpris.

L.P. : As-tu ressenti des douleurs plus tard ?

Y.B.I.Y : Les premiers jours, j’avoue que je n’ai rien senti. C’est cinq jours plus tard que j’ai commencé à ressentir des douleurs intenses à la gorge et à la poitrine. A part ça, je n’ai rien ressenti d’autre.

L.P. : Es-tu allé à l’hôpital pour consultation ?

Y.B.I.Y : Non. Je ne suis pas encore allé à l’hôpital.

Dobi (Ndlr un autre chauffeur) : Quant à moi, je suis allé à la maternité d’Abobo. On ma dit que là-bas, une équipe de prise en charge avait été effectivement mise sur pied. Mais qu’il n’y avait pas encore de médicaments disponibles. Alors, je suis reparti à la maison

Youan Bi Clé Alain : Ce jour-là, le camion gris est venu. Mon frère a dit d’attendre et que vers 21 heures, on allait commencer à laver le camion. Donc, à 21 heures, on a commencé le travail. Le chauffeur m’a obligé à monter sur le camion pour ouvrir la citerne. J’ai ouvert la citerne et j’ai lavé l’intérieur.

L.P. : Qu’est-ce que tu as remarqué quand tu as ouvert la citerne ?
Y.B.C.A. : J’ai été tout de suite frappé par l’odeur dégagée par ce que les gens appellent aujourd’hui les déchets toxiques. Franchement, je n’en savais rien. Quand on a fini de laver, je me suis rincé et je suis rentré chez moi vers 23 heures.
Khristian Kara

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