Wednesday, September 13, 2006


LE MONDE 13.09.06 13h50 • Mis à jour le 13.09.06 16h01


Les déchets toxiques répandus fin août à Abidjan (Côte d'Ivoire), et qui ont déjà fait six morts et des milliers d'intoxiqués, ont été déchargés d'un navire en provenance d'Europe, le Probo Koala. La justice ivoirienne tente aujourd'hui de démêler les responsabilités dans cette affaire. Sept personnes ont été arrêtées, dont trois responsables d'entreprises travaillant sur le port d'Abidjan. L'une d'entre elles est la société de traitement de déchets Puma Energy, filiale de l'entreprise Trafigura, celle-là même qui a affrété le Probo Koala. Un dirigeant de la société Waibs, et un dirigeant de la société Tommy, qui a procédé à l'épandage, ont également été arrêtés.


La convention de Bâle, ratifiée en 1992, vise à réduire les quantités de déchets dangereux produites, à les traiter au plus près de leur lieu de production, et à limiter les mouvements transfrontaliers. S'il veut exporter, le producteur du déchet doit solliciter l'autorisation du pays concerné, vérifier que les déchets peuvent être traités sur place "d'une façon écologiquement rationnelle", et informer les Etats de transit. Cette convention ne concerne pas les déchets dus à l'exploitation des navires.
La convention Marpol sur la prévention des pollutions maritimes (1978) interdit aux navires de se débarrasser de leurs déchets en mer, et oblige à les traiter dans des installations adéquates, dont les ports doivent s'équiper.


Plus de 15 000 consultations et six décès

"Le cumul de toutes les consultations jusqu'à hier soir [mardi] s'élève à 15 749", a déclaré, mercredi 13 septembre, le ministère de la santé ivoirien. "Parmi ces personnes, nous avons 23 hospitalisations et six décès", a-t-il ajouté.
Mardi, les autorités ont précisé que le nombre des personnes intoxiquées devait être inférieur au nombre des consultations, plusieurs malades ayant pu consulter plusieurs fois. — (Avec AFP.)

Selon la justice ivoirienne, citée par l'Agence France Presse, le Probo Koala "a informé la société Puma Energy de son intention de se débarrasser de ses eaux usées". Celle-ci a alors pris contact avec un intermédiaire, la société Waibs, qui lui a conseillé de s'adresser à l'entreprise Tommy, agréée seulement depuis le 12 juillet. La multinationale Trafigura, l'un des principaux courtiers indépendants sur le marché du pétrole et des métaux, a, dans un premier temps, fourni peu d'explications. Aujourd'hui plus prolixe, elle réfute toute responsabilité dans l'affaire.
Selon elle, les déchets débarqués à Abidjan ne provenaient pas de la cargaison du navire (des produits pétroliers bruts) mais étaient des résidus issus du nettoyage des cuves du bateau. Il s'agirait de boues (slops) composées "d'essence, de soude caustique et d'eau" (des produits utilisés pour le nettoyage) et de restes d'hydrocarbures décapés par ce mélange. La convention internationale Marpol sur la prévention des pollutions maritimes interdit de se débarrasser en mer de ces déchets qui doivent régulièrement être vidangés, stockés et traités dans des installations adéquates.
Comment de banals résidus d'exploitation ont-ils pu produire de tels dégâts ? Les premières analyses en Côte d'Ivoire ont montré qu'ils contenaient des molécules très toxiques, dont de l'hydrogène sulfuré. En outre, le déchargement et le traitement de ces résidus, prévus à Amsterdam début juillet, n'ont pas eu lieu. La cargaison "puait terriblement", explique Theo Smit, directeur de la société de traitement des déchets Amsterdam Port Service (APS).
"L'analyse des produits a montré la présence de composés inhabituels, il fallait en conséquence les stocker et les transporter à Rotterdam, ce qui nous aurait coûté beaucoup trop cher : 35 000 dollars par jour d'immobilisation 250 000 dollars de pénalités de retard", explique Jan Maat, porte-parole de Trafigura. Le navire a donc poursuivi sa route vers l'Estonie, afin d'y prendre livraison de produits pétroliers. Les services néerlandais chargés de l'inspection des navires ont laissé partir le tanker car il n'avait pas, selon eux, besoin d'une licence d'exportation : les eaux de rinçage des navires, considérées comme des déchets maritimes, ne sont pas soumises aux restrictions d'exportation des déchets dangereux édictées par la convention de Bâle.
"DIX OU QUINZE FOIS PLUS CHER"
Le Probo Koala s'est alors dirigé vers l'Afrique de l'Ouest "sans effectuer aucune escale", selon l'entreprise. La cargaison a d'abord été livrée au Nigeria, puis les résidus d'exploitation ont été vidangés à Abidjan, "l'un des ports les mieux équipés d'Afrique de l'Ouest", affirme M. Maat. Selon Jim Puckett, coordinateur du Basel Action Network (BAN), qui lutte contre le trafic de déchets dangereux, "cette multinationale ne peut être naïve au point de croire que la Côte d'Ivoire dispose des moyens de traitement nécessaires". Les défenseurs de l'environnement soupçonnent une volonté délibérée d'échapper aux règles qui contrôlent le transfert de déchets dangereux vers les pays pauvres.
L'association Robin des Bois évoque "un brigandage qui a permis d'économiser beaucoup d'argent par rapport à un traitement dans un pays européen, qui aurait coûté dix ou quinze fois plus cher". "L'hypothèse selon laquelle des déchets liquides ou pâteux auraient pu être amalgamés aux résidus de cargaison afin d'échapper à la Convention de Bâle ne peut pas, dit-elle, être exclue." Si des déchets dangereux ont été délibérément chargés en Europe, les gestionnaires du navire seront responsables, mais aussi le pays qui a laissé partir le tanker. La réglementation européenne interdit en effet l'exportation de tels résidus.
Gaëlle Dupont et Jean-Pierre Stroobants (à Bruxelles)
Article paru dans l'édition du 14.09.06

Gaëlle Dupont et Jean-Pierre Stroobants (à Bruxelles)

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